
Michel Valentin (1956-2012), ancien chef d’entreprise et fondateur du centre agroécologique Les Amanins dans la Drôme, est décédé soudainement, dimanche 13 mai, au pied du Veyou, le sommet des Trois-Becs.
Les Amanins, espace d’échange et de sensibilisation à l’écologie « de tous les jours », sont à l’image de leur fondateur : un lieu où il est possible de changer sa façon de vivre et sa vision de la société. C’est ce qu’a fait Michel Valentin, à l’âge de 48 ans, alors qu’il était un entrepreneur en pleine réussite, en apportant ses compétences et ses moyens à la création du centre.
De la logistique à l’agroécologie
Après avoir repris et fait prospérer l’activité de son père, producteur de limonade, il s’enrichit dans le secteur de la logistique et du débit de boisson, en collaboration avec les grandes surfaces alimentaires. Entrepreneur averti et lucide, il investit ensuite dans l’hôtellerie.
Mais, s’il continue à entretenir un jardin, héritage d’une mère paysanne et de son enfance passée dans les champs avec son oncle maraîcher, il se rend compte qu’il a perdu le lien aux autres et à la terre. Une solitude que l’argent n’arrive pas à combler. Faire de l’argent pour de l’argent ne l’intéresse pas et il décide d’utiliser ses fonds pour exister autrement.
En 2004, il redonne du sens à sa vie
Ce sont les rencontres avec Isabelle Pelloux, sa deuxième compagne, et Pierre Rabhi, célèbre agriculteur et philosophe, qui précipiteront le
développement des Amanins.
Les Amanins, à la fois ferme, école et lieu d’accueil pour près de 2 000 visiteurs chaque année, constituent aujourd’hui un lieu autonome, que ce soit au niveau alimentaire et énergétique, mais aussi financièrement viable. Preuve que l’on peut concilier activité économique et respect écologique, tout en mettant l’accent sur la coopération entre les différents acteurs de la structure.
Un modèle que Michel Valentin cherchait à encourager, au travers notamment d’une société d’investissements éthiques, apportant ainsi financements mais aussi aides juridique et fonctionnelle à d’autres projets.
Agissons tous pour que Les Amanins et l’ensemble de leurs projets subsisteront malgré la perte de leur initiateur.
Clément Fages
Entretien avec Pierre Rabhi
Quels ont été les piliers de votre rencontre avec Michel Valentin ?
Rien ne pouvait nous rapprocher. Pourtant, j’ai rencontré cet homme dans une période où il était en grand questionnement par rapport à ses choix de vie, précédents et à venir. Gagner de l’argent pour gagner de l’argent, ne suffisait pas à donner du sens à sa vie. Qu’est-ce que la réussite ? L’argent ou l’équilibre et le bonheur d’être heureux et présent dans ce monde ? Il était conscient que tout peut s’acheter, sauf le bonheur…
Michel a-t-il réussi cette quête de bonheur ?
Il y a vraisemblablement eu un avant et un après. J’ai vu une grosse différence entre le Michel fermé, préoccupé, endolori et le Michel qui s’est impliqué dans cette oeuvre écologi-que et humaine en totale concordance avec sa quête personnelle. Je pense qu’il a vécu heureux.
Michel était-t-il un réconciliateur entre le monde financier et l’écologie ?
Michel Valentin faisait partie de ces entrepreneurs trop rares que l’on appelle les « entrepreneurs singuliers ». Il était soucieux de la vie et de la nature. Ceci, très certainement de par sa fibre de paysan, jamais disparue malgré son expérience de grand chef d’entreprise.
Michel avait la rigueur de la finance et de l’entreprise dont l’écologie a besoin. Il y a en effet une tendance dans le monde de l’écologie à partir sur de l’à peu près. C’est ce qui a fait échouer le mouvement de Mai 1968. Nous nous devons de mettre nos capacités, compétences, techniques, technologiques et financières… au service de la vie. Cela demande de sortir de la désinvolture pour construire une société de
rigueur et éviter d’être dans une posture de babacoolisme généralisé. Il avait cette conscience des choses. C’est ce qui lui a permis de mettre son talent d’homme d’affaires au service de ses valeurs.
Que retenez-vous de votre amitié ?
C’est la fraternité de nos 2 consciences qui a permis l’abolition de ce qui pouvait nous distinguer et nous cloisonner pour aller vers le plus subtil. C’est dans cet essentiel qu’on s’est retrouvé, avec nos questionnements profonds et notre envie de servir. Cette connivence des consciences, cette très forte fraternité, ces valeurs qui nous unissaient au-delà de notre affinité ordinaire, nous ont permis de transcender nos réflexes conditionnés. Un pacte s’est scellé très naturellement.
Changer de cap demande un certain courage. Michel a su faire ce choix. Vous l’avez également vécu ?
Mon destin sur cette terre n’a été fait que d’arrachement et d’exil. Cette petite terre ardéchoise, où, avec le courage de ma femme Michèle, nous avons élevé nos enfants, créé une famille, m’a permis de trouver mon enracinement vrai. J’ai renoncé de façon sensible à ce qui m’enlisait dans ma propre histoire grâce à cette petite patrie qui m’a permis de vivre le meilleur de ma vie.
Nous sommes plus nombreux que l’on ne croit dans cette quête de sens, quête d’une vie doucement fructueuse dans la paix. A vouloir sortir des antagonismes, de ce qui nous divise et qui provoque sans cesse, dualité et violence sur cette planète.
Comment faire vivre la « patrie Amanins » de Michel ?
J’avais pris la résolution, de son vivant, de faire que ce que Michel a engagé perdure et fructifie. Cet engagement est plus que jamais d’actualité aujourd’hui. Je vais organiser mon agenda et mes implications pour élaguer le secondaire et aller vers l’essentiel en consacrant du temps aux Amanins. Je souhaite mettre à profit ma notoriété pour contribuer à ce que les Amanins deviennent une sorte d’agora, un lieu de réflexion, de rencontre, de création et de réalisation.
Ce lieu est un outil majeur, dédié aux valeurs que nous défendons et au service de tous. Un lieu qui témoigne qu’une autre façon d’être est possible. L’amour de la vie, le respect, la pédagogie de l’espoir et non de la compétitivité peut aider à ce que l’humanité cesse de faire du mal, de détruire la vie avec un tel aveuglement et une telle violence.
Propos recueillis par Thierry Garcin
La parole à ses amis…
Ma rencontre avec Michel Valentin
Je fis sa connaissance peu de temps après avoir rencontré Pierre Rabhi et un certain nombre de ceux de son entourage chez Terre et Humanisme.
Mon expérience de conseil d’entreprise et de juriste me permit de percevoir immédiatement en Michel des qualités qu’il est rare de trouver réunies dans une même personne : les pieds bien sur terre et un formidable désir d’œuvrer au-delà de lui-même. Il savait remarquablement faire la part entre le respect nécessaire de certaines règles du jeu dans notre société de plus en plus complexe et les contraintes et habitudes inutiles dont je ne parviens que difficilement à m’affranchir. Il était un entrepreneur performant au service d’un nouvel art de vivre inspiré par Pierre. La réalisation du centre agroécologique des Amanins en est la traduction concrète.
Je garde de notre relation amicale cette heureuse combinaison d’une expression directe, sans détour et d’une immense générosité.
Philippe Dragon
Hommage à notre ami Michel Valentin
Il avait fondé le centre agroécologique des Amanins, et il était avant tout un ami. Michel nous laisse plein d’émotions et de fraternité partagée. N’était-il pas, comme l’a écrit Sophie Rabhi, notre frère d’utopie ?
Écoutez le sur : www.la-ferme-des-enfants.com/hdb_video_michel
Pour présenter Michel, mieux vaut l’écouter sur cette vidéo et aller passer un week-end au centre agroécologique des Amanins plutôt que de faire de longs discours. Vous découvrirez son œuvre…
Michel était mon mentor pour un projet qui me tient à cœur depuis longtemps : créer un centre agroécologique dans les Alpes de l’arrière-pays aixois. J’avais du mal a donner un sens à ce projet ;
Michel m’a permis de le faire. J’ai eu la chance de le rencontrer, lorsqu’il cherchait une exploitation à reprendre pour créer son centre agroécologique. J’ai senti en lui la flamme d’une grande conviction et le réalisme du chef d’entreprise. L’exemple révé, donc, pour un entrepreneur qui veut s’investir dans un projet humaniste !
En mars 2010, ma soif de « présenter madame la campagne à madame la ville » m’a amené à proposer les témoignages de Pierre et Michel aux Aixois, dans le cadre du lancement du journal Human & Terre, devenu maintenant, dans notre région, les éco. de la terre. Mais il n’était pas question de présenter n’importe quelle campagne aux citadins et surtout aux jeunes : il fallait présenter la vraie campagne, celle que nos ancêtres ont connue, pas la campagne de l’agro-industrie et du pouvoir financier ; non, la campagne réinventée au Mas-de-Beaulieu dans l’Ardèche, dont se sont inspirés Les Amanins !
La venue et les interventions de Michel Valentin et Pierre Rabhi, en mars 2010, au palais des congrès d’Aix, ainsi que les témoignages des autres intervenants ont certainement contribué à la naissance de nombre d’envies ; aujourd’hui, le mouvement des Colibris et le forum Tous candidats 2012 en sont des illustrations. Michel a bien « fait sa part ».
Et il va continuer notre ami… En effet, il est dans ma pensée très souvent et il le sera dans mes
actions, pour la création avec beaucoup d’entre vous j’espère, d’un nouveau centre agroécologique, qui s’inspirera bien sûr des Amanains et de tous les conseils que Michel a pu me donner pour ce projet. Michel. On continue !
Tu m’as posé un lapin pour notre rendez-vous du 11 juin avec quelques Aixois, aux Amanins !
Ce n’était pas ton genre. Tant pis, à la prochaine !
Max, Colibri, grâce à toi
Mon cher Michel,
Nous étions tous deux enfants de ce « bas » monde, au sein duquel nous ne nous sentions plus très bien, tant il s’éloignait de nos désirs d’âme.
Dans notre quête d’un monde meilleur, nous avons rencontré Pierre Rabhi, à peu près au même moment, en 2002/2003. Nous nous sommes laissés attirer par cet aimant aimant – si j’ose dire – pour aller œuvrer dans un ailleurs où « l’herbe est plus verte ».
Jour après jour, sous l’inspiration constante de Pierre, aidé de ta compagne et d’une belle équipe, tu as édifié en ce lieu des Amanins « un petit coin de paradis » dans le plus grand respect de notre terre-mère. Avec toi, l’utopie s’incarnait à notre porte.
Et puis un jour, en ce dimanche 13 mai, alors que le printemps dévoilait sa beauté, tu t’en es allé « tout doucement, sans faire de bruit ».
En ce jour de repos dominical, dès l’aube, tu as réveillé ton fils Teo pour une belle randonnée. Dans l’après-midi, tout là-haut, au sommet de la montagne, tu t’es assis sur une pierre pour te reposer. Là, à cet endroit, à cet instant, ton chemin s’est arrêté. En paix, ta mission accomplie, tu passais le témoin et t’envolais vers d’autres horizons. Un nouveau chemin se présentait à toi, que tu es le seul à connaître.
Nous nous sommes peu rencontrés, mon cher Michel, mais nous savions que nous existions et cela suffisait. Aujourd’hui que ton corps physique n’est plus, tu sièges là, dans la profondeur de mon cœur, où toute distance a disparu.
Mille mercis Michel. Poursuis ton chemin en sérénité. Celui que tu as tracé ici continue et se poursuivra encore et encore en ce lieu de belles rencontres humaines, dans le respect de la terre des Amanins que tu chérissais tant et à laquelle tu as su donner une si belle âme.
Josette Amor