
Les progrès des sciences, et notamment de la génétique, ont permis de comparer nos gènes humains avec ceux de plusieurs animaux. Or les résultats sont pour le moins étonnants, voire troublants, car nos différences génétiques ne sont guère importantes. Ce qui distingue réellement l’homme de l’animal semble plutôt se situer au niveau de son cerveau et de sa capacité à exprimer des concepts grâce à son langage articulé. Gros plan sur cet être cultivé et bavard, Homo sapiens…
La définition officielle d’une « espèce » est la suivante : « Une espèce est une population ou un ensemble de populations dont les individus peuvent effectivement ou potentiellement se reproduire entre eux et engendrer une descendance viable et féconde, dans des conditions naturelles. Ainsi, l’espèce est la plus grande unité de population au sein de laquelle le flux génétique est possible et les individus d’une même espèce sont donc génétiquement isolés d’autres ensembles équivalents du point de vue reproductif. » À ce titre, l’espèce humaine est bien différenciée de tout autre espèce animale. Pour autant, comment établir que l’homme est différent de l’animal ? Le dictionnaire définit le terme « humain » de la manière suivante : « D’un point de vue éthologique, le genre Homo se distingue par la complexité de ses relations sociales, l’utilisation d’un langage articulé élaboré transmis par apprentissage, la fabrication d’outils, la maîtrise du feu, la domestication de nombreuses espèces végétales et animales, ainsi que l’aptitude de son système cognitif à l’abstraction et à l’introspection. »
L’homme partage 98 % de son patrimoine génétique avec le chimpanzé, 80 % avec la souris et 60 % avec la drosophile. André Langaney, généticien spécialiste de l’évolution, explique que les gènes qui font que nous avons une série de vertèbres sont composés d’une séquence ADN identique à celle qui donne à la mouche un corps découpé en anneaux. « C’est la même mécanique génétique qui organise le corps d’animaux aussi différents que les vers, les insectes, les souris ou les hommes. C’est la meilleure preuve qui soit de l’hypothèse fondamentale de l’évolution, selon laquelle toutes les espèces animales auraient une origine commune à partir des formes de vie animales les plus simples. » Hormis les distinctions anatomiques évidentes entre chaque espèce, c’est au niveau du cerveau que les différences homme-animal sont les plus flagrantes. Le cerveau des humains et celui des primates sont structurés de la même manière que celui des autres mammifères mais ils sont proportionnellement bien plus gros. Chez l’homme, le cortex cérébral est largement plus grand. L’élargissement du cerveau humain provient également de celui du cortex préfrontal dont les fonctions sont, entre autres, associées à la planification, la mémoire de travail, la motivation, l’attention et les fonctions exécutives.
Une question de plasticité cérébrale ?
Il est vrai que certaines espèces animales ont fondé des sociétés organisées (abeilles, fourmies…), développé des modes de communication complexes ou adopté la monogamie. Mais seul l’humain a su créer des outils, instaurer des cérémonies, établir des structures politiques. Il anticipe un avenir, se positionne dans le temps, communique avec un code verbal établi et partagé, a conscience de sa propre mort, etc. Pouvons-nous donc positionner la distinction homme-animal sur ce plan ? Comment avons-nous acquis ces capacités qui font de nous des mammifères « différents » ? Plusieurs théories sont avancées dont celle de la plasticité cérébrale qui est aujourd’hui l’approche semblant la plus probable. L’être humain vient au monde avec un cerveau particulièrement immature : à la naissance, il représente 25 % de sa taille adulte. A priori, c’est lorsque nous sommes passés à la posture debout que notre bassin s’est rétréci et que la durée de gestation a diminué pour adapter le moment de la naissance aux possibilités physiologiques d’accouchement. En effet, au-delà de neuf mois, le bébé ne peut plus se frayer un passage entre les hanches des femmes. Cette immaturité aurait permis un grand développement de nos capacités cérébrales grâce aux stimuli reçus entre la naissance et l’âge de 4 ans, stade où le cerveau a atteint 80 % de sa taille adulte. Ces stimuli (bien plus riches que ceux que nous recevons dans le ventre maternel) provoquent l’augmentation des connexions neurologiques dans notre cerveau et, par conséquent, l’accroissement de nos capacités intellectuelles.
L’acquisition du langage symbolique
La communication n’est pas le propre de l’humain, chaque espèce animale possède un mode de communication entre individus. Mais quelle est donc la différence entre cette communication animale et le langage humain ? Notre langage nous permet d’exprimer des idées et des concepts, concrets ou abstraits, quasi illimités, contrairement à la communication animale limitée aux messages vitaux. Cette capacité à verbaliser une représentation du monde est réellement le propre de l’homme. Des études réalisées sur la physiologie de l’appareil vocal de l’Homo sapiens concordent avec la période d’apparition des signes culturels liés à la capacité d’expression symbolique (sépulture, arts…) et tendent à situer l’apparition du langage il y a environ cent cinquante mille ans. D’après les recherches anthropologiques, le langage est le fondement de la culture et de sa transmission. Ainsi, l’homme s’est éloigné de ses comportements instinctifs pour devenir un être culturel et social. Le monde culturel s’est donc superposé au monde naturel. Toutefois, des animaux disposent également de capacités d’apprentissage très élaborées. Pourtant, seul l’homme arrive à maîtriser le langage évolué et symbolique. En effet, toutes les expériences d’apprentissage de langue des signes auprès de chimpanzés montrent qu’ils ne parviennent péniblement qu’à atteindre le niveau linguistique d’un enfant de 2 ou 3 ans. Or, c’est justement à cet âge que les humains connaissent une véritable « explosion linguistique », apprenant à maîtriser les règles de grammaire et acquérant plusieurs mots nouveaux par jour, sous l’œil attentif de leurs Homo sapiens de parents. Une attention qui constitue en revanche un point commun avec moults parents d’autres espèces animales… Emmanuelle Klein